23 März 2020

Savoir qui fera quoi : Les listes transnationales peuvent sauver le système des « Spitzenkandidaten »

La procédure des « Spitzenkandidaten » visait à démocratiser l’élection du président de la Commission européenne, mais elle a toujours été controversée. Pourquoi a-t-elle échoué en 2019 ? Et comment pourrait-elle être réformée ? Dans une série d’articles invités, des représentants de la politique, du monde universitaire et de la société civile répondent à cette question. Aujourd’hui: Charles Goerens. (Au début de la série.)

The plenary chamber of the European Parliament during the European Elections
« La réponse n’est ni l’abandon des ‹ Spitzenkandidaten › ni le refus de listes transnationales, mais, me semble-t-il, une combinaison des deux approches. »
Dans l’Union Européenne, les systèmes électoraux varient sensiblement d’un État membre à l’autre. Ainsi au Royaume-Uni, l’élection pour la Chambre des communes se fait-elle à un tour à l’issue duquel on sait en principe qui est le premier ministre et quelle est la majorité qui le soutient. Il s’agit en l’occurrence d’un scrutin uninominal qui consiste à faire élire une seule personne dans chaque circonscription. De ce fait, la majorité des votes exprimés, souvent relative, dans chaque circonscription désigne le vainqueur, même si le nombre de voix ayant permis au candidat de l’emporter peut paraître dérisoire. La règle est simple et le citoyen est, quant à lui, confronté à des choix clairs.

Le système électoral britannique pour les législatives est à la fois plus démocratique et moins démocratique qu’un système de représentation proportionnelle. Plus démocratique parce que l’électeur a, en pratique, un pouvoir de dernier mot quant à la désignation du parti appelé à gouverner le pays. En même temps, il est moins démocratique parce qu’en réalité, il écrase les courants politiques moins forts. Ce système est moins représentatif des diverses composantes de la société, étant donné qu’avec un score total de 20%, par exemple, un parti peut, le cas échéant, n’avoir aucun député tandis que le double des voix exprimées peut procurer une majorité très confortable au parti vainqueur.

Deux systèmes électoraux

Dans les pays où l’on vote à la proportionnelle, par contre, le nombre de sièges attribués à un parti est en fonction du nombre de personnes ayant voté pour celui-ci. Ici, contrairement au système électoral majoritaire, les courants de pensée politique sont généralement plus fidèlement représentés. L’écart entre eux tend à se réduire et les gouvernements de coalition sont pour ainsi dire devenus la règle. Souvent l’exécutif ne se met en place qu’après d’âpres consultations et négociations. Il n’est pas anormal de voir passer des semaines et des mois, parfois plus d’une année, avant qu’une majorité parlementaire se profile.

Certes, il ne viendrait à l’esprit de personne de douter du caractère démocratique du système majoritaire. Force est de constater, cependant, que son efficacité dans la désignation d’une majorité a un prix : le risque de la non prise en considération des aspirations des courants minoritaires et par voie de conséquence, la faible prédisposition des acteurs politiques à la recherche du compromis. Soucieux de voir dans la mesure du possible les différentes sensibilités mieux représentées au sein du parlement, les acteurs politiques des pays votant à la proportionnelle sont plus enclins à multiplier les conciliabules entre partis, afin de rassembler la masse critique nécessaire à l’obtention d’une majorité.

D’un côté, une pratique électorale plus efficace, plus radicale mais moins respectueuse des attentes des courants minoritaires et, de l’autre, une tradition plus laborieuse, plus lente, moins efficace mais plus représentative, voilà ce à quoi peuvent se résumer les deux systèmes électoraux principaux en vigueur dans nos États membres.

Vers une démocratisation ?

A une époque où plus rien ne semble être définitivement acquis, les lois électorales dans nos pays résistent assez bien à l’usure du temps. C’est sur cette toile de fond que se développe la démocratie européenne à l’échelle de l’UE. Néanmoins à y voir de plus près, l’attitude de la plupart des États membres au regard des élections européennes est moins figée depuis la première élection du Parlement européen au suffrage universel en 1979. Depuis, d’aucuns et notamment le Royaume-Uni et la France ont accepté d’introduire sinon la, du moins une bonne dose de proportionnelle dans la désignation de leurs représentants au Parlement européen.

Outre l’élection directe des députés européens, d’autres mesures sont à mettre à l’actif de l’UE en matière de démocratisation. Citons à cet égard la citoyenneté européenne qui a notamment ouvert la voie à la participation de tous les citoyens aux élections municipales, ainsi qu’aux élections européennes dans leur pays de résidence, même s’ils n’en ont pas la nationalité. S’y ajoute le passage de la simple consultation au pouvoir de codécision du Parlement européen dans plus de quatre-vingt-quinze pour cent des cas pour ce qui est de l’adoption des textes législatifs.

La querelle sur les « Spitzenkandidaten »

Si l’on peut dire, avec le recul, que la démocratisation de l’UE a fait son petit bonhomme de chemin, la poursuite de celle-ci s’annonce plus hasardeuse. En 2018, le Parlement européen n’a pas réussi à rassembler une majorité autour de la proposition de créer des listes électorales transnationales. L’idée, à la base, de faire élire dans une seule circonscription paneuropéenne 46 députés a été de faire émerger de cette liste la personnalité la plus légitimée pour pouvoir prétendre à la présidence de la Commission et de renforcer ainsi le concept des « Spitzenkandidaten ».

C’est le Parti Populaire Européen (PPE) qui, en 2018, a voté contre les listes transnationales au Parlement européen. Conçues initialement comme un moyen de renforcer la légitimité de la future équipe dirigeante de la Commission, son rejet par les députés du PPE a amené le président français Emmanuel Macron, à son tour, à remettre en question la règle des « Spitzenkandidaten ». En refusant de supporter la nomination du candidat du PPE, Manfred Weber, à la présidence de la Commission en mai dernier, Emmanuel Macron, las de voir toutes ses propositions de relance du projet d’intégration européenne ignorées par la CDU, a sonné le glas des « Spitzenkandidaten », du moins provisoirement.

Rien n’indique, pourtant, en ce moment, que le concept ne pourrait pas être remis sur le métier. En effet, la Conférence sur le futur de l’Europe va être l’occasion pour les citoyens de se prononcer pour une Union plus démocratique, plus visible et plus lisible. La manière dont le récent renouvellement du cycle législatif a été réalisé est hautement perfectible pour dire le moins.

Un moment de vérité et de clarté

Tant pour le citoyen que pour les candidats, une élection doit être un moment de vérité et de clarté. Si la personne qui se rend aux urnes n’a pas le sentiment que le dépôt de son bulletin de vote contribue à désigner le ou la responsable politique qui sera en charge de piloter l’UE dans les cinq ans à venir, elle se sentira flouée. Bref, l’électeur aimerait savoir qui fera quoi.

Est-ce que l’électeur a pu obtenir une réponse claire à cette double question pendant la campagne électorale de 2019 ? Pour les partisans du PPE, il était entendu que le prochain président de la Commission ne pouvait être autre que Manfred Weber. De toute évidence, c’est le PPE qui a le plus grand intérêt au maintien du statu quo des « Spitzenkandidaten », étant donné que dans sa logique, sa position dominante dans le paysage des partis lui garantit quasiment une emprise permanente sur la présidence de la Commission. Les autres familles politiques, cependant, ne sont plus prêtes à accepter cette situation de monopole d’un courant politique qui, malgré sa force actuelle, est loin de représenter la majorité de l’électorat.

Par ailleurs, même si le système des « Spitzenkandidaten » était consensuel entre les grandes formations politiques, il est indéniable que par le passé, l’électeur en attente d’une réponse sur le « quoi ? » – c’est-à-dire, sur un programme politique clair des candidats et qui est connu en avance – est resté sur sa faim.

« Spitzenkandidaten » menant les listes transnationales

Comment sortir de cette impasse ? La réponse à cette interrogation n’est ni l’abandon des « Spitzenkandidaten » ni le refus de listes transnationales, mais, me semble-t-il, une combinaison des deux approches. Imaginons-nous un seul instant la campagne pour les élections européennes de 2024 avec six têtes de liste, menant chacune une liste transnationale où l’électeur aurait la possibilité de cocher le nom du candidat qu’il aimerait voir présider la Commission de 2024 à 2029. Celui ou celle qui sortirait vainqueur de cette compétition aurait une légitimité incontestable pour prétendre à la plus haute fonction de l’UE. Il est évident que les prétendants à ladite fonction ne pourraient survivre politiquement à une campagne électorale sans avoir pris des engagements clairs sur les grands dossiers de notre époque.

Qui fera quoi dans l’Union européenne de demain ? Les « Spitzenkandidaten » menant les listes transnationales nous pourront déjà nous le dire en avril mai 2024, si nous le voulons.

Charles Goerens (PD/ALDE) est membre du Parlement Européen dans le groupe Renew Europe et vice-président de la Commission des affaires constitutionnelles (AFCO).
La réforme de la procédure des « Spitzenkandidaten » – Sommaire

  1. Reform des Spitzenkandidaten-Verfahrens: Serienauftakt
  2. Für eine Direktwahl des Kommissionspräsidenten und ein neues Europawahlrecht: Wege und Irrwege der Demokratie in der EU ● Frank Decker
  3. Noch nicht ausgemustert: Gezielte Reformen können das Spitzenkandidaten-Verfahren wieder erfolgreich machen ● Julian Rappold
  4. Die Europawahl darf keine Wundertüte sein: Für eine rechtliche Verankerung des Spitzenkandidaten-Prinzips ● Gaby Bischoff
  5. Resuscitating the lead candidates procedure: What can the Europarties do themselves? [EN / DE] ● Gert-Jan Put
  6. Spitzenkandidaten System: A View from Tallinn [EN / DE] ● Piret Kuusik
  7. Savoir qui fera quoi : Les listes transnationales peuvent sauver le système des « Spitzenkandidaten » [FR / DE] ● Charles Goerens
  8. Das Polarisierungsdilemma: Streit zwischen den Parteien belebte 2019 den Europawahlkampf – und ließ dann die Spitzenkandidaten scheitern ● Manuel Müller

Images : Salle plénière du PE pendant les élections européennes : © European Union 2019 – Source: EP [CC BY 4.0], via Flickr; portrait Charles Goerens : © Charles Goerens [tous droits réservés].

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